Non classé

L’authentique visage des Gilets Jaunes

L’authentique tendance dominante du mouvement Gilets Jaunes veut la démocratie, sans chef ni représentant, la bienveillance, la fraternité, la solidarité. Elle s’est attachée à déclarer la clarté de sa couleur en clarifiant ses positions dès le début. L’Appel des Gilets Jaunes de la zone portuaire de Saint Nazaire du 20 novembre 2018 évoque l’« exercice d’un pouvoir populaire où la fraternité et la bienveillance se côtoieraient, où les problèmes humains et environnementaux puissent trouver des réponses naturelles et simples, soucieux de préserver le bien-être de chacun et celui du patrimoine commun, et celui-ci inclut notre environnement. […] La solution est en nous-mêmes, en nous les travailleurs, les chômeurs, les retraités, de toutes origines et de toutes couleurs. » Et l’Appel de la première Assemblée des assemblées des Gilets Jaunes du 26-27 janvier 2019, réunissant 75 délégations répondant à l’Appel des Gilets Jaunes de Commercy, affirme : « Après nous avoir insultés et traités de moins que rien, voilà maintenant qu’il [Macron] nous présente comme une foule haineuse, fascisante et xénophobe. Mais nous, nous sommes tout le contraire : ni raciste, ni sexiste, ni homophobe, nous sommes fiers d’être ensemble avec nos différences pour construire une société solidaire. »

Sans doute y a-t-il du brun dans le jaune, extrémisme chasublé par opportunisme, qui veut des chefs à poigne, mais il n’a pas l’éclat que d’aucuns, pour scintiller sous les feux de la rampe, font briller. Il n’est pas superfétatoire d’observer que les invectives à l’adresse des Gilets Jaunes prétendument brunâtres proviennent de larges couches de milieux oligarchiques et intellectuels, et pas seulement des BHV de l’idéologie française où l’on trouve tout sauf l’esprit. Faux procès ! Qui ne réussit pas à ternir le mouvement.

Les Gilets Jaunes ne seraient pas éduqués ou mal : « Mai 68 est un mouvement étudiant, des gens éduqués, c’est différent des Gilets Jaunes ». « Gens éduqués » nouveau pseudo concept à la mode. Les Gilets Jaunes n’ont pas été à l’Université. Comme s’il fallait sortir de Saint-Cyr pour avoir du bon sens et un sens de l’humain ! Comme si le « petit peuple » était incapable de savoir ce qui est bon pour lui ! Quel rapport entre l’éducation et le politique ? L’Allemagne, pays « civilisé » de « haute culture », comme on dit, a vu nombre d’intellectuels, juristes (magistrats, avocats), médecins s’encarter au Parti nazi. Enthousiastes, ils y ont été très actifs. N’étaient-ils pas des « gens éduqués » ? Qu’en est-il du rapport entre les « gens éduqués » et les « politiques » autoritaires, fascistes et totalitaires ? D’où viennent les nationalismes, et autres ismes, qui charrient des crimes contre l’humanité ? Des « gens éduqués ». Qui décide des guerres ? Les « gens éduqués ». Qui fait les guerres et meure dans les grandes boucheries ? Le « petit peuple ». Qui cadavérise en masse l’humain ? Ces gens-là, trop bien éduqués. Il y a plus d’humanité dans le peuple que chez ces gens éducastrés ! Et Jules Vallès, d’où vient-il ?

Des Gilets Jaunes en procès : « Chaudronnier, couvreur, ingénieur, charpentier, bûcheron, cuisinier, agent de sécurité. » (Voir D. Simonnot, Le Canard enchaîné, 12/12/2018). Ces autres embastillés : « boulangère bio, cordiste, ancien pompier en BTS, vidéaste » (même source, 02/01/2019). Pourquoi ces personnes ayant l’intelligence de beaux métiers n’auraient-elles pas l’intelligence du politique et de la vie ? Pourquoi seraient-elles par essence pétainistes ou poujadistes ?

Plus de 10 000 intellectuels et artistes ont signé une pétition en faveur des Gilets Jaunes. C’est peu mais c’est bien. Ils sont dans la rue, c’est encore mieux. Qui parle de praxis si ce ne sont les savants ? Il est bon d’en faire usage, l’occasion est là, trop belle pour la laisser passer. L’élite républicaine, comme on dit, séparée pratiquement du « petit peuple » n’est pas républicaine. Elle n’est pas constitutive du peuple quand elle devrait l’être, impérativement.

Le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), législatif, abrogatoire, constituant, révocatoire est en cours de discussion. Du RIC à la démocratie directe généralisée, il y a fort loin. Car vouloir instaurer la démocratie directe c’est vouloir changer le régime politique. Le RIC ne peut être provisoirement qu’un coin enfoncé dans le pouvoir représentatif. Un pas pour aller plus loin. Faute de quoi, au fond, on en resterait au régime sec, une pseudo-démocratie à la Suisse, un mélange de représentatif massif et d’un brin de démocratie à la façon du pâté d’alouette. Dans l’affaire, qui se fait plumer ? Inversement, les citoyennes et citoyens peuvent prendre goût à cette participation directe, et, partant, devenir plus gourmands. Exiger la soumission de l’exécutif, par mandat impératif, aux décisions législatives de la volonté générale seule souveraine.

Au vu du rapport de forces et des possibilités du moment, la mise en avant du RIC est la meilleure stratégie. Par là, le mouvement se donne du temps. Il construit un temps politique. Il expérimente la démocratie, dont le dialogue essentiel continu exige du temps. Rien à voir avec un grand baratin national drastiquement limité. Et le mouvement construit simultanément un temps social : « On crée du lien », disent les Gilets Jaunes. Ce lien social se tisse contre la vie quotidienne aliénée. Sur les ronds-points, les parkings, etc., on entend : « Je ne suis plus seul. Je ne suis plus le même. On se fait confiance. On est une famille. On se promet de s’épouser. » Cette histoire en appartenance leur appartient parce qu’ils s’appartiennent. Les personnes se perçoivent étrangement et font connaissance. Il y a là de la poésie vécue. De l’étrangeté !

Le RIC inquiète sérieusement le gouvernement, et beaucoup d’autres. E. Philippe fait dans le jeu de mots : « Le RIC, il me hérisse ». Il plaisante. Il rit. Il rit jaune. Il a peur des Gilets Jaunes. La peur change de camp.

Il est nécessaire, évidemment, qu’à la qualité du mouvement s’ajoute la quantité numérique, venue de partout. Il serait bon que les Gilets Jaunes puissent dire : « par un prompt renfort, nous nous vîmes trois millions en arrivant au port. » Dans l’attente, la grève générale, généralisée à tous les secteurs d’activité, illimitée ou reconductible, à partir du 5 février 2019, sera un test.

L’État défigure l’authentique visage des Gilets Jaunes. La violence étatique défigure le mouvement dans la falsification de son sens réel. Violence des mots arrogants, haineux et fallacieux. Le mensonge de la raison d’État. Défiguration physique et psychique des opposants : les LBD40 défigurent les visages. L’État imprime profondément et douloureusement sa marque, sa loi du plus fort, sur les corps mutilés à vie. La volonté étatique violente à vie le visage. Son usage de la violence est légal et légitime. La violence est son droit de propriété privée inviolable. Circulez, il n’y a plus rien à voir ! Et comment voir, en effet, comment bien voir quand il vous manque un œil. Pourtant, et c’est étrange, les futures victimes, et les victimes, repartent à la charge. Elles refusent d’aller se faire voir. Elles circulent pour se faire voir, se rendre visible, se faire connaître. Faire connaître le sens profondément humain de leur mouvement, opposé à l’inhumanité étatique, c’est-à-dire l’inhumanité des Macron, Philippe, Castaner, etc.

L’État entendu comme appareil bureaucratique de domination ne supporte pas qu’un peuple soit un peuple. Le peuple est la volonté générale des citoyennes et des citoyens au service du bien-être commun. Le mouvement Gilets Jaunes n’est pas tout le peuple, une partie du peuple, le peuple qui donne le ton. Pour le principe étatique un peuple est bon comme populace servile. Raison pour laquelle le gouvernement méprise au plus haut point les Gilets Jaunes qui affirment audacieusement que c’est au moyen de la forme pratique de la démocratie directe appuyée sur des valeurs humanistes fondamentales qu’ils peuvent résoudre les problèmes qu’ils posent. Au reste, la démocratie est nécessairement directe ou elle n’est pas. La démocratie dite représentative est la démocratie populacière de la servitude volontaire, « à l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus » Rousseau, Du Contrat social. Les valeurs humanistes sont le fond sans lequel la forme n’est rien. Quel est le but du politique ? Un gilet jaune répond : « On veut du bonheur ». Le bon sens est la chose la mieux partagée dans un peuple lorsqu’il est peuple. Ce mot simple de « bonheur » sobrement posé sur une chasuble est grand, en lui-même et par son écho retentissant. Comment, en effet, ne pas se ressouvenir de la Constitution du 24 juin 1793, Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, la plus révolutionnaire de la Révolution française, en son article 1 : « Le but de la société est le bonheur commun. »

En un pays qui serait démocratique, l’État ne serait rien, la République serait tout. La République, la « chose publique », appartient au peuple du simple fait qu’il est cette chose même en acte. Le peuple est composé de toutes les citoyennes et de tous les citoyens de la République. La République est l’autogouvernement du peuple. À la proposition « du peuple, par le peuple, pour le peuple », l’on opposera celle sans virgule : « du peuple par le peuple pour le peuple ». Les virgules séparent. L’unification s’impose.

Le dédain des oligarques au service de la ploutocratie (le mot sonne bien !) est permanent et devient plus visible quand le peuple les rejette. Quand la canaille d’en bas crache sur la racaille d’en haut ! Dès le lancement du mouvement, ce mépris s’est affiché sans vergogne : « leurs revendications vont dans tous les sens, ça n’a pas de sens ». Les opposants ont répondu diversement et pertinemment. Ainsi à Rouen, le 12 janvier 2019, on pouvait lire : « Trop de revendications. Changeons tout. » Voilà bien un sens aigu du raccourci !

Le mouvement démocratique est radical. Radical parce qu’il prend les choses à la racine, et la racine est l’humain prenant ses affaires en main. Les citoyennes et les citoyens proposent de décider des lois, du sens de la loi, de ce que doit être ou ne doit pas être la société. Il bouscule les habitudes machinales de la vie quotidienne. Il amène à percevoir l’espace public autrement, à le percevoir réellement comme public. Si d’aventure heureuse vous dérivez le samedi à Rouen dans les vieilles rues, ruelles, « coupe-gorges » du centre ville, où les murs de pierre et pavés séculaires murmurent des énigmes, où en nombre ensoleillé dérivent des individus étranges, vous percevrez « la vie en jaune » !

Il est étrange. Inouï. Un mouvement encore jamais perçu en ce qu’il réinvente. Il étonne. Il surprend. Que l’aspiration libertaire, ce désir et cette volonté d’une libre politique et d’une vie libre, au sein du bien-être commun, devienne plus étrange encore ne tient qu’à ces personnes et à celles les rejoignant dans une extension du mouvement. Les grands moments fraternels de l’histoire ouvrent étrangement sur l’inconnu.

Rendez-vous le 5 février 2019 ! L’Intranquille, distribué à Rouen, acte XII, le 2 février 2019.

Revue L’Intranquille, une libre contribution à la critique de la servitude et de la désappartenance, fondée en 1992, a relayé les Appels de Saint Nazaire, de Commercy, de la « première Assemblée des assemblées des Gilets Jaunes », et à la grève générale illimitée de François Boulo, porte-parole des Gilets Jaunes à Rouen. Adresse mail: revuelintranquille@yahoo.com / Facebook : @Revue L’Intranquille