MACÉDOINE-SITUATION 23. Le 23.02.2018
Tensions régionales autour du projet Grande Albanie
Le projet Grande Albanie, en s’étendant aujourd’hui à la Grèce, s’exprime dans sa globalité, tel qu’il est défini par l’idéologue de cette Idée Rexhep Qosja dans son ouvrage La Question albanaise (propagande ultranationaliste publiée par les bons soins des éditions Fayard). Depuis un an, L’Intranquille vous le dit régulièrement (voir Macédoine-Situation 1 à 22 revuelintranquille.fr).
Se croyant à l’abri dans les frontières de l’UE, la Grèce, avec le soutien actif de l’US-UE, contribue à la déstabilisation de la Macédoine par son véto sur le nom constitutionnel « République de Macédoine » entravant l’entrée de celle-ci dans l’Otan et l’UE depuis près de trente ans en violation du droit international à l’autodétermination des peuples qui est le droit à l’auto-nomination. Ce faisant, elle permet aux Albanais de Macédoine, minorité de moins de 20%, de devenir une force légitime, elle qui ne reconnaît aucune minorité dans ses frontières. Le projet de Grande Albanie qui ne se limite plus officiellement à la Macédoine, au Monténégro et à la Serbie du sud inquiète la Grèce.
Les médias grecs pestent contre Edi Rama, Premier ministre albanais d’Albanie, qui affiche publiquement le « spectre de la Grande Albanie », appelée par les Albanais « Albanie naturelle » ou « Albanie unifiée ». Rama affirme la nécessité d’un Président unique de l’Albanie et du Kosovo. L’unification des deux États est donc désormais inscrite sur le calendrier, ce serait dans dix ans. L’UE et la Serbie condamnent fermement cette déclaration. (Vecer.mk, 20 février 2018)
Cette unification remettrait en cause les frontières actuelles et ne toucherait pas les seules limites de l’Albanie et du Kosovo mais engloberait une partie de la Serbie, du Monténégro, de la Macédoine et de la Grèce. Selon les médias du Kosovo, US et UE pressent le Parlement kosovar de reconnaître le tracé de la frontière avec le Monténégro, attestant par là l’objectif de la Grande Albanie.
Le chef du Parti albanais d’Albanie pour les droits des Albanais chams, Parti albanais de la démocratie, de l’intégrité et de l’unité [albanaise], Spetim Idvizi déclare : « Que personne n’essaie d’effacer le nom de Chameria (et Chams), parce que ce nom a deux mille ans, c’est une région albanaise, couverte de sang albanais. » Ce Parti estime que l’Albanie ne doit pas céder à la Grèce tout ce qui concerne les problèmes ouverts entre l’Albanie et la Grèce, tels que le problème des frontières maritimes, le cimetière des soldats grecs en Albanie, les minorités et le problème de la reconnaissance des droits et propriétés des Chams. (Vecer mk, 22 février 2018)
L’ancien ambassadeur albanais au Kosovo et en Macédoine, Arben Cejku, a déclaré que dans dix ans, trois pays albanais seront présents dans la région. En 2028, selon ses prévisions, en dehors de l’Albanie et du Kosovo, il y aura un autre État albanais en Macédoine. Avec le dixième anniversaire de l’indépendance du Kosovo, la « question albanaise » n’aurait pas encore été entièrement résolue car elle n’aurait pas obtenu tous les droits des Albanais de Macédoine. (Republika.mk, 20 février 2018)
Donc dans dix ans les trois États albanais devraient s’unifier selon le projet Grande Albanie.
Edi Rama se félicite de participer au changement de nom de la Macédoine, encourage les leaders tels Sela ou Ahmeti qui déclarent que les Macédoniens n’ont jamais existé et revendiquent l’autochtonité, c’est-à-dire « le droit du sol », sur le territoire de la Macédoine contre les « Slaves étrangers », les Macédoniens ainsi désignés comme un tout indéfini pour leur faire perdre toute appartenance ethnique propre. Phraséologie négationniste favorisant la profanation des cimetières orthodoxes, des monuments et statues mémoriels représentant l’histoire « slave ».
Le conflit entre l’Albanie et le Grèce sur le « nom » de « Chameria » (et « Cham ») est du même type que la revendication grecque sur le « nom » de « Macédoine » que la Grèce refuse pour la République de Macédoine. Le nom « Macédoine » n’appartiendrait qu’à la Grèce. La Grèce menace d’user de son droit de véto contre l’entrée de l’Albanie dans l’UE. Elle refuse d’entendre parler d’une quelconque présence albanaise passée, présente et future chez elle. Les Albanais de Grèce n’existent pas. La Grèce exige que soient revus les manuels d’histoire albanais parlant de l’histoire des Albanais de Grèce, de même qu’elle exige que soient revus les manuels d’histoire macédoniens parlant des Macédoniens de Grèce et de Macédoine.
S’il est légitime que l’existence et l’histoire des Chams soit reconnues et préservées, elles ne doivent pas l’être exclusivement, et surtout pas instrumentalisées dans une perspective de création d’une Grande Albanie. De nombreux peuples en Grèce doivent obtenir leur reconnaissance en tant que minorités massacrées et effacées par la politique raciste ethnocidaire grecque.
Albanais et Grecs, entre eux, jouent le même jeu que celui contre la Macédoine. Grande Grèce contre Grande Albanie ! Sans compter la Grande Bulgarie qui compte bien tirer quelques marrons du feu !
En Grèce, certains ne sont pas dupes et réagissent contre le délire ultranationaliste Grand Grec. Soixante représentants de la gauche grecque ont signé une pétition pour s’opposer à l’ultranationalisme grec et demander que la République de Macédoine garde son nom constitutionnel. (Eleftherotypia du jeudi 15 février 2018, repris par Alfa TV, Kurir.mk et TV Nova.mk, etc. le 19 févier 2018)
Pour le moment on ne voit rien. On ne veut rien voir. La perception européenne, notamment française, est centrée, non sans de bonnes raisons, sur la Syrie où le droit humanitaire ne vaut pas un kopek. Mais cette perception est faussée dès lors qu’elle se fixe, se focalise, sur ce qui lui apparaît comme l’unique problème fondamental de l’histoire en cours. L’on passe très vite sur les Rohingyas de Birmanie, c’est trop loin, et l’on revient au plus vite en Europe. Certes, il y a bien la Pologne et la Hongrie qui divertissent quelque peu, mais dans le fond l’Europe s’ennuie d’elle-même. Déjà loin l’époque faste des « conflits de la Yougoslavie ». « Conflits », euphémisme ou litote ? On ne sait, à chacun son style et les vaches seront bien gardées. La République de Macédoine du point de vue du droit international ne vaut pas un euro grec. La balkanisation des Balkans toujours plus accentuée pourrait devenir la balkanisation de l’Europe.
Philippe Bouchereau