Non classé, Revue L'Intranquille

Vassili Grossman Tout passe

Vassili Grossman Tout passe

Dans son récit Tout passe…, Vassili Grossman dit ceci : « […] Plus j’y pense, plus je me demande qui a inventé ce mot : les koulaks. Est-il possible que ce soit Lénine ? […] Pour les tuer, il fallait déclarer : les koulaks, ce ne sont pas des êtres humains. Tout comme les Allemands disaient : les Juifs, ce ne sont pas des êtres humains. C’est ce qu’ont dit Lénine et Staline : les koulaks, ce ne sont pas des êtres humains. »

Qu’est-ce que la Grande-Famine ? « C’était horrible. Les mères regardaient leurs enfants et criaient, épouvantées. » Toujours dans son témoignage Grossman ajoute : « Les femmes étaient plus robustes que les hommes, elles s’accrochaient davantage à la vie. Et pourtant c’est elles qui eurent le plus à souffrir. N’est-ce pas à leurs mères que les enfants demandent à manger… Certaines femmes raisonnaient leurs petits, les embrassaient : ‘‘Allons, ne criez pas comme ça, un peu de patience. Où voulez-vous que j’en trouve de la nourriture’’ ? D’autres devenaient enragées : ‘‘Ne pleurniche pas ou je te tue !’’ Et elles battaient leurs enfants avec ce qui leur tombait sous la main. Tout, tout plutôt que de les entendre demander. D’autres s’enfuyaient de chez elles, se réfugiaient chez des voisins pour ne plus entendre crier leurs enfants. […] Dans une maison, c’est la guerre, on s’épie, on se dispute les miettes. La femme est hostile au mari, et le mari à la femme. La mère hait ses enfants. Mais dans une autre maison, l’amour est indestructible. J’ai connu une femme qui avait quatre enfants, elle ne pouvait plus remuer la langue mais elle leur racontait des histoires pour leur faire oublier qu’ils avaient faim. Elle n’avait plus la force de lever les bras, mais elle portait ses enfants dans ces mêmes bras. C’est que l’amour habitait cette femme. On a remarqué que là où il y avait de la haine, on mourait plus vite. Mais l’amour non plus n’a sauvé personne. » « Certains paysans sont devenus fous […] Ils débitaient les cadavres et les faisaient bouillir, ils tuaient leurs propres enfants et les mangeaient […] Mais ils n’étaient pas coupables. Les coupables, ce sont ceux qui ont réduit une mère à manger ses enfants… »

 

Extrait de La Grande Coupure, par Philippe Bouchereau, éditions Classiques Garnier, Paris, 2017. Sur la Grande famine de 1933, Holodomor, génocide des Ukrainiens, voir le Dossier publié par la revue L’Intranquille, résumé sur revuelintranquille@yahoo.com.